Le
flamenco peut-il être une culture mondialisée?
Le flamenco est une musique mondialement connue, mais en même
temps les vrais connaisseurs sont peu nombreux, car il y a une profondeur
que seul peut comprendre el aficionado.
En effet, le flamenco n’est pas un produit de consommation
culturel ordinaire. Pour l’apprécier il faut une vraie
culture flamenca, une connaissance de ses composantes que sont «
el cante, la guitarra y el baile ». Cependant, certains
artistes flamencos s’illustrent à travers des expériences
artistiques qui sortent cette musique de son aire géographique
andalouse pour la rendre plus accesssible et la faire connaître
à l’international. Quelques artistes savent préserver
l’authenticité, d’autres s’éloignent
des racines pour montrer quelque chose de différent, mais
est-il encore possible de parler de flamenco ? On
peut se demander si le flamenco peut être une culture mondialisée
sans risquer de se dénaturer? Afin de répondre
à cette question, il faut connaître l'histoire du flamenco.
Nous verrons ensuite les évolutions qui l'ont rendu célèbre
dans le monde. Enfin, nous ferons le point sur le flamenco aujourd'hui.
I
L’histoire d’un peuple opprimé
Le poète Felix Grande (1937-2014) a écrit une histoire
du flamenco « Memoria del flamenco ».
Son livre montre le chemin parcouru de la marginalité à
la reconnaissance universelle de l’art flamenco.
Voir aussi ce site
les
origines du flamenco
En effet cette histoire commence avec le musicien Zyriab
à l’époque de Al-Andalus, l’Espagne musulmane.
En Andalousie, les cultures arabes, juives et chrétiennes
ont laissé leur empreinte et ce mélange de culture
est bien présent dans le flamenco, une musique entre occident
et orient. Le poète Felix Grande
a collaboré avec Juan Peña el
Lebrijano, grand cantaor flamenco, dans le disque «
persecución », car en effet une partie de cette
histoire du flamenco est également liée à l’histoire
des gitans. Les gitans en provenance de l’Inde sont arrivés
en Espagne où ils se faisaient passer pour des pèlerins
de Saint-Jacques de Compostelle pour obtenir une protection. Tout
va changer à partir des Rois Catholiques et ils seront pourchassés
jusqu’au XVIIIe siècle. Dans un article du journal
elmundo.es
on peut lire “Mantenidos en los márgenes
sociales, entre 1499 y 1783 se promulgaron 250 leyes contra los
gitanos españoles, hasta que Carlos III inició una
política de "asimilación" al
final de su reinado”. Hubo prisión, condenas a galera,
trabajo en las minas… Le flamenco s’est développé
en Andalousie dans les milieux populaires et les gitans vont se
l’approprier. Aujourd’hui quand on parle de cante
gitano, il s’agit du flamenco pur, authentique. Félix
Grande présente d’autres étapes du flamenco.
Le flamenco sort de la clandestinité à la fin du XIXe
siècle pour devenir un produit de consommation à l’époque
de « los cafés cantantes »,
c’est l’apparition des tablaos.
On retrouve ces tablaos dans les grandes
villes Séville bien sûr, mais aussi Madrid et Barcelone.
Les cafés cantantes puis les
spectacles dans des « teatros
» donnent les moyens à des artistes de vivre de leur
art, cette professionnalisation permet de développer les
techniques et de fixer les différents styles du flamenco.
La
moda de los cafés cantantes permitió el surgimiento
del cantaor profesional y sirvió de crisol donde se configuró
el arte flamenco. En ellos los no-gitanos aprendían los cantes
de los gitanos, mientras que estos reinterpretaban a su estilo los
cantes folclóricos andaluces, ampliándose el repertorio.
Asimismo, el gusto del público contribuyó a configurar
el género flamenco, unificándose su técnica
y su temática. wikipedia
La
première moitié du XXe siècle est l’époque
de ce qu’on a appelé la «
ópera flamenca ». C’est une période
où le flamenco connaît un engouement, mais pour plaire
au plus grand nombre les chants profonds, ce qu’on appelle
le « cante jondo » sont
délaissés. Le compositeur Manuel
de Falla et le poète García
Lorca organisent un concours de cante
jondo en 1922 à Grenade pour sauver de l’oubli
ce patrimoine flamenco authentique. Pendant le franquisme, le régime
sut s’approprier de ce folklore pour promouvoir l’unité
nationale et attirer les touristes. C’est ce qu’on a
appelé le nacional-flamenquismo.
On constate que cette première globalisation du flamenco
est réactionnaire et peu propice à produire une esthétique
de qualité. On appelle ce flamenco, el
flamenco de pandereta, c'est-à-dire un flamenco stéréotypé
à l'intention des touristes étrangers. À partir
des années 60 jusqu’à la transition vont se
révéler des artistes comme José
Menese, El Lebrijano, el
Cabrero qui sortiront du folklore pour produire un flamenco
plus social.
L’histoire
du flamenco nous montre bien que la musique populaire peut en effet
atteindre de plus larges publics, mais on voit bien que le danger
est que le flamenco perde de sa force expressive. En effet, le flamenco
est une musique dans laquelle l’expression des sentiments
requiert une intimité et une complicité. C’est
une musique qui se prête moins aux grandes salles de concert.
II
Voyons maintenant comment le flamenco a évolué.
Avec la démocratie espagnole, le flamenco va connaître
une diffusion extraordinaire grâce à des artistes talentueux,
mais aussi grâce à la globalisation, aux nouveaux moyens
de diffusion de la musique, les tournées internationales.
Cette ouverture sur le monde va faire évoluer le flamenco.
[On va assister à des expériences diverses, parfois
anecdotiques. Juan Peña El Lebrijano joue avec des musiciens
marocains de la musique andalusí. María del Mar Fernández
devient célèbre en Inde en interprétant une
rumba flamenca “Señorita” en 2011 pour un film
de bollywood qui a dépassé les 70 millions de spectateurs.
reportaje
EFE. Quand
on écoute on se demande si on peut encore parler de flamenco.
La rumba flamenca à cause de son rythme entraînant
est devenue synonyme de flamenco à l’étranger,
mais la façon de l’interpréter avec des instruments
de pop musique (basse, batterie…) rende cette musique complètement
insipide. ]
Des groupes
issus du monde flamenco comme Pata Negra et Ketama vont fusionner
avec le blues et le rock ou encore avec la musique cubaine et pop.
Mais ces expériences qui rencontrent une large audience et
du succès s’éloignent considérablement
du flamenco. La logique commerciale à la recherche de nouvelles
cibles obligent à tenter de nouvelles pistes. Ces musiques
peuvent plaire mais peut-on encore parler de flamenco?
Dans l'évolution du flamenco, il faut citer les deux maîtres
incontestables qui vont donner au flamenco une renommée internationale.
Il s’agit du guitariste virtuose Paco
de Lucía et le cantaor Camarón
de la Isla. Paco de Lucía
est sorti de son univers flamenco pour se produire avec le virtuose
de jazz John Mac Laughling. Paco
de lucía a incorporé dans ses concerts, de
nouveaux instruments comme la flûte traversière ou
le cajón,
un instrument péruvien qu’on retrouve maintenant partout
dans l’univers flamenco. Camarón
de la Isla va faire évoluer la manière d’interpréter
le cante. Il enregistre avec le Royal
Philharmonic Orchestra de Londres.
Certes, ces quelques écarts suscitent des polémiques
dans le monde du flamenco. Ces expériences sont des passages
de formation qui n'enlèvent rien au duende,
l'esprit, le génie du flamenco.
Le cinéma va jouer un rôle
important pour faire connaître le flamenco. Il s’agit
d’abord de la trilogie de Carlos Saura.
CARMEN - NOCES DE SANG - L'AMOUR SORCIER. Carlos Saura met en valeur
l’esthétique de la danza flamenca grâce à
des artistes comme le bailaor Antonio Gades
et la bailaora Cristina Hoyos. Puis
dans son film FLAMENCO,
il réunit les meilleurs artistes de chant, guitare et danse.
Les évolutions du flamenco nous montrent que les expériences
nouvelles ont permis de faire connaître le flamenco dans le
monde et ces contacts avec d’autres musiques ont sans doute
enrichi le flamenco. Sans aucun doute, la guitare et la danse sont
les composantes du flamenco qui ont séduit le plus large
public.
III
Le flamenco aujourd’hui
Aujourd’hui la génération d’artistes flamencos
tient à rester fidèle aux origines, ce qu’ils
nomment « las raíces »
les racines, sans toutefois rejeter les fusions. Diego
el Cigala a connu une gloire internationale pendant lors
de sa collaboration avec le grand pianiste cubain Bebo
Valdés, mais cela ne l’empêche pas de rester
avant tout un grand cantaor flamenco.
Le flamenco qui autrefois était dénigré, c’était
la musique des parias, est devenu aujourd’hui un art respecté.
Depuis 2010 le flamenco fait partie du patrimoine
culturel immatériel de l’humanité, on
le trouve dans les conservatoires, à l’université,
dans le monde de la culture.
À l'étranger, l'intérêt pour le Flamenco
continue à grandir. On le voit à travers les spectacles,
mais aussi grâce à des festivals
à Londres, Amsterdam, à Paris ou Albuquerque au Mexique.
Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est
au Japon que l’engouement est le plus grand. Le Japon est
considéré comme la seconde patrie du flamenco.
Avant de conclure, quelques mots en espagnol
sur Rosalía.
[En 2019 on a vu que la musique flamenca continuait à s’exporter.
Rosalía
connaît une reconnaissance mondiale avec sa chanson «
malamente » qui mêle flamenco et hip-hop. En effet elle
s’inspire du flamenco. Il y a des palmas, des mots gitans
(Undibel = Dios), mais peut-on encore parler de flamenco ? Pour
connaître le succès elle passe par une musique, plus
globalisée, plus mondialisée comme le trap. Une autre
raison de son succès tient à la forme. Grâce
au clip produit par CANADA, elle peut raconter une histoire. C'est
peut-être là un moyen d’expression moderne et
nouveau pour enrichir le flamenco. On est vraiment dans le monde
globalisé, car la société de production CANADA
de Barcelone est présente également à Londres
et Los Angeles. Elle travaille pour le monde de la publicité
mais aussi pour des stars comme Katy Perry. Si souvent Rosalía
s'éloigne du flamenco, on l'a vu dans un clip où elle
interprète un tango flamenco juro
que dans la plus pure tradition. Le plus, elle raconte une histoire
en images et utilise des effets sonores. On retrouve une thématique
traditionnelle flamenca autour de l’univers carcéral.
Rosalía a fait l’objet de quelques critiques du monde
flamenco, mais c’est une critique qui n’a pas de fondement.
Rosalía a certes une formation flamenca, mais elle exploite
un filon complètement différent et certainement plus
lucratif.]
[En 2019 vimos que el flamenco seguía
teniendo audiencia internacional en particular con Rosalía.
Es una joven cantante flamenca pero se hizo famosa con una fusión
de flamenco y de música urbana. Entonces vemos que si el
flamenco consigue exportarse, sólo tiene éxito internacional
cuando se transforma. El problema es que se aleja del flamenco verdadero.
Gusta a un público más amplio pero ya no es flamenco
de verdad, es otra cosa. Después es una cuestión de
gusto. Se suele decir que de gustos y de colores no hay nada escrito.]
Pour
résumer en français, Rosalía séduit
un publique plus vaste, international, mais ce n'est plus vraiment
du flamenco.
[Le
flamenco aujourd'hui est mondialement reconnaissable. Il fait partie
de l'identité espagnole. De nombreux artistes puisent à
sa source. C'est le signe d'un folklore qui s'est transformé
en art et comme tout art, il est appelé à évoluer
et s'adapter à la modernité.]
En
conclusion et pour répondre à la question Le flamenco
peut-il être une culture mondialisée ?
L’exemple de Rosalía et d’autres artistes montre
la difficulté de faire du flamenco une musique internationale.
On peut faire évoluer le flamenco à travers des fusions,
mais cela donne lieu à d’autres objets esthétiques.
Ce sont des expériences musicales sans doute intéressantes,
mais qui s’éloignent du duende
flamenco, de l’esprit flamenco. Le flamenco est avant tout
une musique vivante dans le sens où il faut la vivre plus
que l’écouter. Ses composantes, les trois piliers que
sont le cante, le baile et la guitare montrent qu’elle est
faite pour l’improvisation et la participation du public.
Il faut peu de chose pour faire du flamenco. Des palmas,
une voix, une guitare, une danse. Cependant rien n’est possible
sans une culture commune qui est la culture flamenca. Il faut connaître
les palos, les styles, maîtriser
le compás, le rythme. C’est
pourquoi s’il est possible de faire voyager le flamenco, le
faire connaître, le faire évoluer c’est avant
tout une culture et une manière de vivre. La mondialisation
ne concerne que quelques incursions internationales des flamencos.
Les personnes à l'étranger qui se passionnent pour
le flamenco savent que c’est en Andalousie qu’elles
doivent se ressourcer. Le flamenco même s’il a considérablement
élargi son audience reste une musique profondément
lié à son terroir. C'est d'ailleurs ce qui fait sa
force, son originalité, son authenticité.